Pour nous présenter ce film classique, nous avons le plaisir d'accueillir à Meaux pour la première fois Philippe Pilard, réalisateur, enseignant et fondateur de l'Agence du court métrage. Il a eu la gentillesse de nous faire un petit texte sur Rouquier, qu'il connut jadis. Ce texte, nous vous le délivrons, en espérant que vous serez nombreux pour voir un film si rare, dans une excellente copie, nous dit-on. Pour que vive le cinéma dans sa diversité !
A propos de Georges Rouquier
Un hasard ironique a fait naître à Lunel-Vieil (Hérault) et à une trentaine d'années de distance, deux grands noms du cinéma français : Louis Feuillade y voit le jour peu après la guerre de 1870, Georges Rouquier, peu de temps avant celle de 1914.
Le premier deviendra l'un des patrons du cinéma de fiction chez Gaumont, l'autre, réalisateur de films documentaires. D'une part l'industrie et l'usine à rêve ; d'autre part, l'artisanat et la caméra comme machine à explorer le réel. On pourrait s'amuser à développer cette opposition…
En 1929, dès son premier film, Rouquier, jeune ouvrier « typo-lino », filme pendant ses vacances les Vendanges (dont la copie est perdue). Pourquoi ? « Parce que je savais ce que c'était ! » dit-il. Tout le programme de Rouquier est déjà là : savoir de quoi l'on parle, et le donner à voir, aussi clairement, aussi fidèlement que possible.
Quand Rouquier plante sa caméra devant un paysan, un artisan, un ouvrier, son projet est, à l'aide de la machine à imprimer des images, d'enregistrer l'ensemble des gestes et des pratiques du métier. De là se construit le personnage et son histoire propre. Montrer le geste vrai, c'est montrer l'homme.
C'est pourquoi les images de Rouquier possèdent si souvent la force et la qualité poétique des planches de la Grande Encyclopédie de Diderot. Le cinéma documenté de Rouquier nous donne à voir une image forte et rare : celle du monde du travail.
Les paysans de Farrebique (comme le seront plus tard ceux de Biquefarre) sont uniques dans l'histoire du cinéma français. Fait révélateur, ce film fut, en son temps refusé par le Festival de Cannes ! Lorsque nous voyons les images de Rouquier, nous pouvons mesurer l'inanité de l'imagerie « paysanne » de la quasi-totalité de la production cinématographique française.
Simplicité, clarté, respect de ses personnages et du spectateur, refus de l'esbrouffe et de la mode : Rouquier est l'un de nos grands classiques.
Philippe Pilard